"On ne découvre pas sa passion, c'est elle qui nous trouve " par Mathieu Chérubin, ancien responsable carrière de NEOMA Alumni.
"Vivez votre passion et vous n'aurez plus jamais à travailler !"
Si cette phrase vous semble familière, c'est tout à fait naturel. Cette idée de la quête de la passion est omniprésente depuis les années 70 dans un grands nombres d'ouvrages ou d'articles et a véritablement connu un boom à la fin des années 90, d'abord en Amérique du Nord puis en Europe, et dans les pays les plus développés où elle rencontre un écho certain. On la retrouve au quotidien dans nos Timelines et nos profils Instagram sous la forme de motivational quotes, le plus souvent en anglais, telles que "follow your passion", "live your dream", "Find your passion, life purpose and let take action"...
C'est la définition même de la réussite sociale telle qu'on la connaissait qui est remise en cause
La quête de la passion est réellement ancrée dans notre culture et semble inspirer en particulier les jeunes générations. Les diplômés des écoles les plus prestigieuses quittent leurs emplois de cadre dans lesquels ils ne se reconnaissent plus ou qu'ils trouvent vides de sens et se tournent de plus en plus vers les métiers manuels, ouvrent un restaurant, un bar à vin ou encore montent leur startup comme l'explique Jean-Laurent Cassely dans son ouvrage La révolte des premiers de la classe. C'est la définition même de la réussite sociale telle qu'on la connaissait qui est remise en cause. Le phénomène de Bifurcation professionnelletouche les plus jeunes générations comme nous le décrit Chloé Schemoul, diplômée ESCP, dans son article “Et tu avais besoin de faire HEC pour faire ça ?” où elle nous donne de nombreux exemples de brillants diplômés d'école de commerce qui se sont réorientés à peine 2 ou 3 ans après leur entrée dans la vie active, avec ce dénominateur commun du manque de sens dans leur vie professionnelle et d'une envie de métiers plus "concrets". Ce phénomène reste assez difficilement mesurable car les métiers en questions sortent de la nomenclature classique des métiers exercés à la sortie des formations Bac +5 mais les médias et certaines études (ISM et APEC) montrent qu'il s'agit d'un véritable tournant et non d'une simple mode. Les formations à destination des cadres en reconversion se multiplient également.
Le piège de la passion
Mais pourquoi tant de reconversions ? Pourquoi tant de frustrations dans certains témoignages ? L'une des explications est très certainement cette quête perpétuelle de la passion, qui est devenue une forme de Graal, un objectif à atteindre pour parvenir à l'épanouissement professionnel. Comme tout objectif, il peut engendrer un sentiment d'échec et/ou de frustration lorsqu'il n'est pas atteint. Si certains trouvent leur passion (parfois jeunes parfois plus tardivement) et parviennent à en vivre (pour les meilleurs d'entre eux), la grande majorité des jeunes diplômés démarrent dans la vie active en gardant en tête cet objectif tout en exerçant des emplois parfois vides de sens à leur yeux, ce qui engendrent ce phénomène de bifurcation professionnelle évoqué précédemment. La dernière étude menée par le Conference Board aux États-Unis en 2014 révèle que seuls 48,6% des américains sont satisfaits de leur emploi contre 61% en 1967.
Le fait de vouloir faire correspondre son emploi à une passion pré-existante est une mauvaise idée
La quête de la passion peut donc avoir un effet néfaste car il créé un sentiment de frustration, d'incompréhension voire de remise en question et d'anxiété : "Pourquoi les autres trouvent-ils leur passion et pas moi ?". Cal Newport, dans son livre So good they can't ignore you,raconte ses rencontres avec des fermiers, un scénariste, des guitaristes ou encore un fabricant de planches à voile ou des acteurs afin de comprendre d'où vient leur réussite. Son étude menée pendant plusieurs semaines a confirmé son intuition première : le fait de vouloir faire correspondre son emploi à une passion pré-existante est une mauvaise idée. La réussite de ces personnes vient avant tout d'un travail constant, de la répétition des tâches et d'exercices fastidieux et surtout du développement de compétences rares et ayant une valeur réelle dans le secteur dans lequel elles évoluent. La combinaison de ces facteurs est à l'origine de leur réussite, leur a également permis de développer un talent rare et leur a apporté de la satisfaction dans leur job.
La quête de la passion n'est pas mauvaise dans l'absolu, et il faut encourager les personnes qui l'ont trouvé à persévérer dans leur voie et à réussir. Cependant la théorie de Cal Newport apporte un nouvel éclairage sur cette quête qui peut devenir source de frustration et expliquer le manque de sens ressenti par les jeunes talents, leur envie de changements parfois radicaux. De la même façon que la réussite ne vient jamais avant le travail, il ne faut pas négliger l'importance de développer un capital carrière solide avec des compétences ayant de la valeur, afin de pouvoir devenir excellent dans son domaine, être incontournable, et un jour passionné.
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Si vous le souhaitez, vous pouvez contacter Mathieu à cette adresse: mathieu.cherubin@gmail.com
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