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Catherine Benmaor (PGE 92) : "ne pas perdre l’histoire, la raconter, la partager, la transmettre"

Portraits d'alumni

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01/06/2023

Catherine Benmaor (PGE 92) a toujours donné de la voix, depuis les bancs de NEOMA à Reims ou elle accompagnait l'un des groupes en chant, jusque dans sa vie professionnelle, notamment en tant que voix off. Mais cette fois-ci, Catherine tend le micro, pour recueillir de précieux témoignages, véritables trésors de notre mémoire collective. Son dernier podcast participe de la conservation de notre Histoire, que l'on DOIT se remémorer. Rencontre :


Votre nouveau podcast « Enfant de la Shoah », que nous allons bientôt découvrir, n’est pas votre premier. Comment vous est venue cette envie de créer des podcasts et pourquoi avoir choisi ce média ?

Catherine Benmaor : Après mes études, en 1992, j’ai travaillé avec un compositeur et chanté dans des bars pendant 1 an. Si la Star Academy avait existé, je me serais présentée sans hésiter. L’univers audio, la voix, la musique… m’ont toujours fascinée, j’étais d’ailleurs la chanteuse d’un des groupes de musique de l’ESC Reims pendant mes études ! 

Puis, il fallait bien que je m’engage dans une voie « professionnelle », alors j’ai intégré une agence de publicité. Au bout de quelques années, j’ai bifurqué vers la télévision, j’ai rejoint l’équipe de Culture Pub et suis devenue journaliste. Et j’ai commencé à enregistrer mes chroniques TV et la voix-off de mes reportages. La voix… de plus en plus. Je suis ensuite devenue pigiste pendant une quinzaine d’années pour diverses productions et émissions du Paf. J’y ai réalisé des dizaines, des centaines d’interviews, et de reportages sur des thèmes variés (musique, actus, portraits…) sur lesquels évidemment j’ai posé ma voix. 

Parallèlement, je suis devenue comédienne voix-off pour la publicité, j’ai prêté et je prête encore ma voix à de grandes marques, L’Oréal, Nestlé, Axa, Orange, Crédit Agricole, France Inter, Lancôme, Renault… et puis, il y a deux ans, j’ai eu envie de m’atteler à un projet plus personnel, plus porteur de sens, plus intime. Un projet qui puisse à la fois me nourrir intellectuellement et réunir mon savoir-faire, mes centres d’intérêt, mes passions. Catherine Benmaor (PGE 92)Le podcast s’est imposé à moi de façon évidente. C’est un média relativement jeune, ou tout est encore possible, tant sur le fond que sur la forme. Un média qui laisse libre court à la créativité, à l’envie, à la folie même. Je me suis formée au montage professionnel, j’ai intégré des « cercles » de podcasteurs, participé à des masterclasses, des Rooms sur Clubhouse pour apprendre, me former de façon à maitriser parfaitement la production d’un produit qualitatif, et je me suis lancée. 


Quel était le sujet de votre premier podcast, nommé « Souvenirs d’enfants » ?

C. B. : La mémoire, la transmission, l’héritage culturel…

« Souvenirs d’enfant » est un podcast d’histoire orale qui donne la parole à nos ainés, de tous horizons. Nés dans les années 1920/30/40, ces témoins du passé nous racontent leur enfance en France dans la période d'après-guerre, une enfance  bien loin des Tik-Tok, Instagram, Snapchat… dont sont abreuvés nos enfants (c’est d’ailleurs en voyant mes filles affalées sur le canapé, absorbées par leur smartphone, que j’ai eu le déclic; je suis certaine que beaucoup savent de quoi je parle) ! J’avais envie de montrer aux générations actuelles que les enfants « d’avant » pouvaient être heureux, sans téléphone, sans écran, sans frigidaire, avec des toilettes communes sur le palier. Que l’idée de pouvoir « lire des livres à la bibliothèque » car ils n’avaient pas les moyens de les acheter, les remplissaient d’un bonheur infini, que la « cuisson collective du poulet dans le four du boulanger le dimanche » était un évènement, que les gens chantaient dans la rue… bref, Je voulais transmettre cette mémoire, ces histoires, notre histoire à tous en fait ! 

Souvenirs d’enfant est un « passeur de mémoire et d'émotions ». J’avais également envie de voir les petites étoiles dans les yeux de nos anciens, quand ils se replongent dans leurs souvenirs ! C’est fou ce que ça fait du bien, à eux, à moi, à tout le monde !

J’ai à ce jour réalisé plus de quarante portraits, d'homme et femmes… Je continue à en réaliser régulièrement pour entretenir et nourrir notre mémoire collective 


Comment est née l’idée de votre nouvelle série de podcasts, « Enfant de la Shoah » ?

C. B. : Lorsque j'ai lancé "Souvenirs d'enfant", je voulais recueillir des témoignages "post guerre", positifs, joyeux sur une période de reconstruction pleine d'espoir. Je ne voulais "surtout pas parler de la guerre", de la Shoah, des camps, des morts… de tout ce qui me ramenait à mon histoire personnelle et qui réveillait en moi des souvenirs douloureux. J'ai passé des mois à interviewer des gens sur leurs souvenirs d'école, de vacances, je leur demandais de me décrire leur maison, leurs copains, leur ville… bref…"tout sauf"…

Et puis, sans que je le demande, on a commencé, à me raconter la guerre, les arrestations, l'étoile jaune, les regards des gens dans la rue, les petites remarques « l’air de rien », les camps de la mort, les disparitions, la douleur, les fermiers qui cachaient des juifs à la campagne, les justes… et c'est là que j'ai dû faire face à mon histoire. Mon histoire personnelle, celle de mes parents, (qui ont été les premiers témoins de Souvenirs d'Enfant d'ailleurs) qui ont été cachés à la campagne pendant les années de guerre, mais aussi mon histoire, car l’histoire de la Guerre et de la Shoah est l’histoire de tous ! Alors c'est devenu une évidence… Interroger ces personnes avant qu’elles disparaissent et que disparaissent avec elles cette mémoire de l’holocauste. 


Pouvez-vous nous présenter plus en détail ce dont va parler ce nouveau projet ?

C. B. : Ce nouveau podcast est assez proche de « Souvenirs d’enfant », car il s’agit de la transmission de mémoire, mais il est plus « ciblé ». Il s’agit de témoignages de hommes et femmes juifs de 80, 90 ans et plus, qui nous racontent la guerre, la Shoah, les persécutions qu’ils ont subies en tant que « petits enfants juif » sous l’occupation. 

Chaque témoignage est un petit miracle, car ces enfants, malgré les souffrances vécues, ont été sauvés. Cachés pour beaucoup d’entre eux à la campagne sous de fausses identités, mais aussi dénoncés et emprisonnés, parfois même déportés. C’est l’incroyable Ginette, 98 ans, une « ex » du convoi 71 (le même que Simone Weil), qui raconte qu’elle « gardait sa [voisine de convoi] morte car c’était une ration de soupe supplémentaire », c’est Marcel, 86 ans, interné à Beaune-la Rolande, qui ne reverra plus ses parents et sera orphelin à 7 ans, c’est Albert, 87 ans, qui sera interné à Drancy, dénoncé par le maire du village dans lequel il était caché, c’est André, 87 ans, qui passera la ligne de démarcation enfermé dans un tonneau… ce sont toutes des enfances racontées avec sincérité, émotion, et beaucoup de courage.  

Et pour « Enfant de la Shoah », comme pour « Souvenirs d’Enfant » comme pour tous les reportages que j’ai réalisés dans le passé, je porte une extrême attention au montage. J’ai toujours considéré que la forme était aussi essentielle que le fond, pour raconter une histoire. Alors je mêle ces témoignages, que je monte minutieusement, à de la musique, que je choisis également avec beaucoup d’attention, pour en faire un véritable documentaire sonore… un bel objet, utile, précieux.


Comment trouvez-vous vos témoignages ? N’est-ce pas difficile de faire accepter de partager ces récits difficiles, parfois même tabous au sein des familles qui les ont endurés ?

C. B. : Oui, et non ! Oui, c’est parfois difficile de convaincre ces personnes de raconter leur histoire, car pour certaines d’entre-elles, c’est la première fois qu’elles « franchissent le pas », qu’elles osent parler, transmettre, se souvenir même. Beaucoup me disent qu’ils n’ont jamais ou très peu raconté, par souci « de ne pas ennuyer les gens avec leurs problèmes ». Au sortir de la guerre, nombre d’entre eux ont enfoui ces traumatismes pour aller de l’avant, un élan vital, pour ne pas sombrer. Certains enfants devenus adultes et parents à leur tour ont raconté à leurs enfants, mais bien souvent à la demande de ces derniers. Mais quand on est enfant, malheureusement, on ne s’intéresse pas à l’histoire des anciens. Moi-même je regrette de ne pas avoir assez interrogé ma grand-mère lorsque je le pouvais. C’est la vie, je ne peux pas revenir en arrière alors je « compense » en quelque sorte, j’interroge d’autres anciens. Je le fais pour tous ceux qui n’auront pas l’idée de poser des questions. D’ailleurs certains auditeurs de « Souvenirs d’enfant » me disent qu’ils sont heureux car mon podcast leur a donné envie d’interroger leurs parents et grands-parents sur leur histoire, leur vie d’avant. Cela me touche beaucoup. 

Bref… je vous disais, oui, c’est parfois difficile de convaincre les anciens de parler, mais non, car quand a réussi à instaurer une relation de confiance avec eux, les souvenirs affluent en pagaille et ces personnes sont avides de raconter, de partager, de transmettre. Beaucoup ont énormément de souvenirs, une mémoire quasi intacte, c’est surprenant ! Ils racontent avec l’émotion que vous imaginez… certains font des pauses pour reprendre leur souffle tant c’est douloureux de revenir sur certains moments, mais ils racontent et sont heureux de le faire. 

Quant à la façon dont je rencontre ces témoins du passé, c’est beaucoup de bouche à oreille. Je vous l’ai dit, mes parents, qui ont 87 et 85 ans, ont été des enfants cachés pendant la guerre. Je sollicite leurs amis, les amis de leurs amis… c’est une belle chaine de solidarité. Il y a aussi les réseaux, je communique beaucoup sur Facebook et Instagram ; je reçois également des messages, des témoignages… Et puis j’ai noué des contacts avec des personnes incroyables (majoritairement non juives d’ailleurs) qui sont investies avec conviction dans ce travail de mémoire pour des institutions comme Yad Vashem, ou de façon plus personnelle. 


Il y a des fils conducteurs qui se dessinent entre vos projets, l’enfance, évidemment, mais aussi un enjeu de mémoire important, et de transmission. C’est votre force motrice de création ? En avez-vous d’autres ?

C. B. : Oui, j’ai l’ambition aujourd’hui de créer « utile ». Créer pour transmettre. Créer pour conserver la vérité historique et sensibiliser les jeunes générations (une façon de lutter contre l’antisémitisme et les préjugés) mais aussi pour honorer la mémoire des victimes et rendre hommage à la force et au courage humain… Enfin, « last but not least », comme je vous l’ai dit, j’aime voir les petites étoiles qui brillent dans les yeux des personnes que j'interroge. Car se souvenir, même des moments aussi douloureux que ceux-là, est une façon pour eux de rester en vie. C’est la raison pour laquelle certains survivants des camps, comme Ginette Kolinka, après avoir longtemps fait table rase de leur passé, passent leurs journées à sillonner la France pour aller raconter leur histoire aux collégiens, aux lycéens, aux écoliers… Et puis j’aime raconter des histoires. Avant les podcasts, j’ai écrit plusieurs pièces de théâtre, j’ai écrit des paroles de chanson, des projets de formats courts pour la télévision…cela me passionne. Alors quand mes histoires sont des histoires vécues, sur un sujet aussi précieux et essentiel que celui de la Shoah, et que je parviens à les mettre en forme à travers un bel objet qui fait appel au sens que je préfère parmi tous, c’est merveilleux.


Votre cursus axé sur la communication vous aide sans doute dans la réalisation de ces projets ? Comment les montez-vous d’un point de vue organisationnel et financier ?

C. B. : Oui, mon cursus axé sur la communication m’aide beaucoup, à la fois pour aller à la rencontre des gens, pour leur expliquer ma démarche, mon travail, mes objectifs ; mais aussi pour travailler en autonomie. Bien sur, j’ai été formée lors de mes précédentes expériences professionnelles, que ce soit en Agence ou dans les sociétés de productions, mais cela ne me fait pas peur de « marcher seule ». De produire, créer, diffuser, communiquer. Toutes les armes essentielles m’ont été données lors de mes années à NEOMA Business School, et sur le plan pratique, qu’il s’agisse de réaliser des interviews, de faire un montage, de créer une vignette sur Canva… je sais faire ! D’un point de vue organisationnel, donc, on peut dire que « tout baigne ». 

En revanche, d’un point de vue financier, c’est moins évident. L’économie du podcast natif est à deux vitesses et surtout à deux « business model ». Grossièrement, il y a d’un côté les podcasts dits « de marque », ceux, rémunérateurs, créés par les maisons de production pour les annonceurs, et de l’autre, les podcasts « indépendants » de podcasteurs indépendants eux-aussi, dont je fais partie. Des dizaines de créateurs comme moi, avec des idées, des envies, de la détermination et… du temps, beaucoup de temps. Car il en faut pour monter un podcast, mais surtout pour tenir dans la durée, sans assurance de trouver une source de financement. Car monétiser un podcast n’est pas évident, à moins de cumuler des dizaines voire centaines de milliers d’écoutes mensuelles (ce qui est loin d’être le cas de très nombreux podcasteurs dont je fais partie) et d’attirer des sponsors susceptibles de s’engager dans l’aventure. Depuis le début, je finance « Souvenirs d’enfant » entièrement seule, et je vais probablement devoir financer « Enfant de la Shoah » seule également. 

C’est la raison pour laquelle j’ai lancé une campagne de financement participatif sur Ulule, pour m’aider à couvrir une partie des frais inhérents à ce nouveau projet. Je remercie au passage tous ceux qui m’encouragent et me soutiennent, financièrement et moralement, dans cette campagne, comme depuis le début de mon aventure « podcastique ». En fait, au-delà de cette campagne de financement participatif, j’aimerais pour ces deux podcasts, que j’ai l’intention de poursuivre dans la durée, nouer un partenariat avec un ou plusieurs « annonceurs » aux valeurs identiques à celles que je défends, valeurs de transmission, de respect, de partage… Avis à ceux qui m’écoutent… qui me lisent en l’occurrence !

Pourquoi pas non plus me lancer dans l’aventure du podcast de marque pour trouver une source de financement supplémentaire, mais, vous l’aurez compris, j’ai besoin d’être impliquée émotionnellement par le « produit », l’objet, la cause que je défends. Avis aux annonceurs… également !


Quel message souhaiteriez-vous partager avec le réseau pour le mot de la fin ?

C. B. : Écoutez, partagez, soutenez…  Et plus si affinité…

Ça c’est pour mon travail, et pour le reste, ne perdez pas de temps, prenez votre smartphone, enclenchez le Dictaphone, et partez vite en quête des souvenirs de vos parents et grands-parents si vous avez encore la chance de les avoir. Ce qui serait formidable, c’est que faire un enregistrement vocal avec son Smartphone devienne un réflexe, tout comme prendre une photo. L’émotion qui passe par la voix est tellement puissante ! 


Vous souhaitez soutenir la démarche créative de Catherine ? Voici le lien vers sa campagne Ulule : 

En savoir plus


Vous pouvez également retrouver son premier podcast "Souvenirs d'enfants"  ci dessous ou bienen cliquant ici


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